La légalisation prochaine du cannabis au Québec, le 17 octobre 2018, se présente comme une préoccupation majeure pour les employeurs qui devront faire face à d’éventuelles répercussions entraînées par ce changement sur leur milieu de travail.
Une obligation de protection de l’employé qui repose sur l’employeur
En réalité, le grand principe dont découle cette responsabilité est l’obligation qui lui incombe de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de ses employés (Loi sur la santé et la sécurité du travail, Code civil du Québec, Charte des droits et libertés de la personne). Ce principe n’est pas nouveau, et des politiques s’y rapportant sont probablement déjà en vigueur dans son organisation (politique en matière de santé et sécurité, concernant l’usage de médicaments, ou encore de protection contre le harcèlement psychologique).
Néanmoins, l’augmentation possible de cas d’employés se présentant au travail avec les facultés affaiblies sous l’effet du cannabis exigera une plus grande vigilance de la part des employeurs afin d’assurer un environnement de travail sécuritaire. En effet, le cannabis peut provoquer des effets secondaires tels que : changement dans les perceptions, diminution de la concentration, mauvaise coordination des mouvements, ou encore, somnolence, pouvant affecter la qualité du travail et les comportements sociaux en général.
D’ailleurs, il conviendra de distinguer la prise de cannabis médicinal et la traiter au cas par cas. Pour ce faire, il s’agit de déterminer la provenance médicale du cannabis en vérifiant la prescription du médecin. Souvent prescrit à prendre le soir, le cannabis n’est donc pas censé affecter les capacités de l’employé durant les heures de travail. Sinon, la situation devra être traitée au cas par cas en envisageant, si possible, des adaptations dans les tâches à réaliser, toujours en vue de protéger l’employé. Il s’agit ici d’un devoir d’accommodement de l’employeur vis-à-vis de la situation médicale de l’employé, prévu par la Charte des droits et libertés de la personne.
De même, dans le cas d’un employé souffrant de dépendance avérée, un employeur pourra envisager des ajustements dans le travail de l’employé, mais aussi lui demander de suivre une cure de désintoxication, tout en vérifiant que son maintien à l’emploi ne constitue pas une contrainte excessive, toujours selon la Charte.
Un environnement normatif en construction
La problématique actuelle réside surtout dans le manque de fiabilité des moyens de dépistage en place actuellement. En effet, ceux-ci ne permettent pas de démontrer une corrélation directe de cause à effet entre le taux de consommation de cannabis et l’ampleur des risques pour l’individu. De plus, l’employeur ne peut décider de procéder à un test de dépistage sur l’un de ses employés de façon aléatoire : il devra le justifier à partir de nombreux critères et se conformer à plusieurs lois restrictives en la matière, notamment les lois sur les droits de la personne, qui rendent très complexe l’ouverture d’une telle procédure.
Le cannabis n’est pas seulement de l’herbe sèche, comme l’envisage pourtant spécifiquement la loi pour le moment. Il existe sous de multiples formes (huiles, extraits concentrés de THC, haschisch…), ce qui rend potentiellement plus difficile sa détection. Par ailleurs, les comportements à risque causés par l’usage du cannabis sont encore mal connus et difficilement reconnaissables d’un individu à l’autre.
Heureusement, l’employeur détient un pouvoir discrétionnaire de gérance lui permettant de mettre en place une politique prohibant la possession ou la consommation de drogues sur les lieux du travail.
De plus, rappelons que l’obligation première de tout salarié est de fournir la prestation de travail à laquelle son employeur est en droit de s’attendre, et ce avec prudence et diligence, c’est-à-dire en suivant les règles de conduite déterminées par l’employeur (articles 2085 et 2088 du Code civil du Québec). L’employé qui ne respecterait pas les règles en place se soumettrait donc à d’éventuelles sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
À noter que l’interdiction de fumer dans un lieu fermé au travail s’applique également au cannabis.
Les bonnes pratiques à mettre en œuvre
1/ Instaurer ou réviser votre politique actuelle en matière de consommation de cannabis en milieu de travail afin qu’elle soit adéquate pour protéger la santé et la sécurité de vos employés.
Nous vous recommandons l’instauration d’une politique dite de « tolérance zéro » concernant la consommation et la possession de cannabis sur les lieux de travail ou encore de présentation au travail sous l’effet du cannabis.
Cette politique doit être claire et non équivoque. Elle doit imposer des sanctions sévères pouvant même aller jusqu’au congédiement de l’employé y contrevenant.
Comme toute politique, celle-ci doit être appliquée de manière rigoureuse et générale, et doit, au préalable, avoir été portée à la connaissance des employés afin de pouvoir justifier l’imposition des sanctions qui y sont prévues.
2/ Déployer, au même moment, une campagne de sensibilisation auprès des employés.
Comme expliqué ci-dessus, il est important de communiquer aux employés les choix de l’entreprise en matière de consommation de cannabis en milieu de travail. Cependant, cette politique a de plus grandes chances d’être comprise et acceptée des employés si on leur explique les raisons de son instauration, ou encore, s’ils ont été consultés pour l’élaborer.
L’employeur peut profiter d’une campagne de sensibilisation pour faire adhérer les employés à la politique en place, et aussi pour les former sur les effets de la consommation en vue de susciter leur vigilance quant aux effets potentiels sur eux-mêmes, mais aussi chez autrui. Plus spécifiquement, cette campagne vise à aider les gestionnaires à détecter les signes révélant qu’une personne est sous l’influence du cannabis, et à bien comprendre les outils à leur disposition et leur latitude en matière d’intervention face à une situation jugée problématique.
Étant donné la complexité du recours au dépistage, la prévention et la sensibilisation sont d’autant plus primordiales en vue de limiter au maximum le non-respect des procédures en place.
[Pour plus de précisions, notamment sur la reconnaissance des signes et effets du cannabis, ou encore pour un modèle de politique claire et adaptée à votre organisation, vous pouvez consulter le document créé par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés : https://www.portailrh.org/Ressources/AZ/dossiers_speciaux/guidecannabis/pdf/CRHA_Guide_Cannabis_WEB.pdf
Ce texte est écrit par Amélie Chatut,CRHA pour le compte de L’Équipe Humania